Salle de danse

Mikomi, après plusieurs jours d'isolement dans l'obscurité protectrice de sa chambre, finit par en sortir, pour la plus grande joie de Chin-Chan qui courut prévenir son maître que sa pivoine allait mieux. Souhaitant tout de même rester seule, elle avait longé le couloir d'un pas hésitant, pasant sans s'arrêter devant les salles où elle entendait des voix. Finalement, elle pénétra dans une salle vide, non encore amménagée.

Elle l'explora doucement, effleurant du bout des doigts les murs, frolant le sol de ses pieds nus. La pièce ne contenant aucun meuble, elle ne tarda pas à en avoir fait le tour. De taille assez importante, expliquant sans doute la raison pour laquelle elle n'était pas utilisée, les frais devant être trop importants, la pièce était exposée plein sud avec de larges ouvertures qui permettaient le passage de la lumière. Mais la pièce était relativement sombre, les vantaux étant fermés car la salle était censé être inutilisée.

Mikomi finit par se tenir immobile au milieu de la pièce, son jeune corps amaigri par la diète, son regard bandé dirigé vers le sol. Après qelques instants d'immobilité parfaite, où on aurait pu la croire être une sculture d'un grand maître, la jeune fille commença à esquisser quelques pas de danse. Son dos endoloris par l'hématome qu'elle avait sur les reins et par 4jours d'immobilité, fut douloureux, ses muscles contractés la faisant souffrir. Mais cela ne l'arrêta pas.

Prenant peu à peu confiance en elle, et se plongeant corps et âme dans la danse, elle commença à se mouvoir avec plus de souplesse, plus de vitesse et plus de grâce. Ôh, sa danse n'avait rien à voir avec celle pleine de retenue des geishas... Non... Elle s'apparentait plus à celle que les accrobates réalisent pour distraire lors de spectacles ou de défilés.

Pleine de grâce féline, Mikomi laissait son corps évoluer dans la pièce au gré de ses envies, la robe de couleur noir brodée d'argent qu'elle portait aujourd'hui se déployant autour d'elle au fur et à mesure que ses mouvements s'amplifiaient. Alors, plus sereine, elle entona doucement une chanson d'amour tout en continuant sa danse.

Au printemps....
Les cerisiers en fleurs couvrent de pétales
Le chemin de gravier que parcourent
Innocente et naïve, une jeune fille
Et voilà que s'avance
Sur le chemin de sa vie
Alliance de force et de douceur
Un jeune homme, son destin

En été...
Le soleil darde ses rayons
Couvrant d'une douce chaleur un amour naissant
Veillant de sa face lumineuse d'or embrasé
Et le temps s'avance complice des amoureux
Union des coeurs devient union des corps
Devient union des âmes
Et ainsi se construit une vie, de joies et de peines

En automne...
Alors que la nature se parre de son habit de feuilles mortes
Et que milles couleurs s'offrent aux yeux
La vie s'écoule paisible
Les fruits de l'amour ont donné d'autres fruits
Et se perpétue l'histoire d'un nom, d'une famille
Tandis que les feuilles tombent
Et pour chacun le temps de terminer sa vie...

En hivers...
Alors que tout se couvre d'un manteau de neige blanc
Et que le froid emprisonne de son carcan l'eau de l'étang
Vient le temps de laisser sa place au prochain être
Et le coeur qui battait par amour au printemps
Finit par se taire après son long voyage
Car il a porté tout le bonheur et le malheur d'une vie
Et qu'il lui faut maintenant se reposer enfin...

Chin était un petit orphelin d'environ huit ans. Jusqu'à il y a peu, sa vie n'avait été qu'un enchainement de tragédies. Maltraité par sa famille, il avait finit par être recueillis par le clan Kumagai. Si le Maître était plutôt gentil avec lui quand il lui parlait, ce n'était pas le cas de tout le monde.

Il faut dire que le petit Chin était un jeune polisson, comme le sont tout les enfnats de son âge, et faire des corvés plutôt que s'amuser, l'ennuyait terriblement. Aussi, entre deux tâches, il réalisait quelques farces pour se distraire. Son passe-temps préféré ? Mettre des herbes purgative dans le saké de Toriko. Le géant l'effrayait un peu et s'était une petite victoire qu'il s'octroyait à l'occasion.

Et puis la vieille.... La cuisinière était une vrai méchante, comme on en fait plus, avec une tête de harpie décrépite et une spatule en bois qui passait plus de temps à battre les servantes et serviteurs pas assez rapide à son goût, qu'à préparer des petits plats pour le Maître. Le pauvre Chin-Chan était son souffre douleur favoris. Et quoi qu'il fasse... Que ce soit bien ou mal, il prenait des coups.

Un répis lui vint lorsque la Pagode fut construite, car il fallait des serviteurs pour toutes les jolies Pivoines qui allaient s'y installer. Mais là encore, il fut refoulé par d'autres, plus compétent que lui. Et il retomba dans les griffes de la vieille carne. Mais visiblement, un Kami avait du finir par le prendre en pitié car il le plaça sur la route de Nobu-Dono, alors que celui-ci avait besoin d'un guide pour aller chercher l'une de ses pivoines, aveugle.

Là, il avait rencontré le rayon de soleil qui avait illuminé sa vie.

Un peu intimidé par cette étrange jeune fille aux yeux bandés, il avait vite été conquis par cette créature pleine de grâce, curieux mélange de force et de fragilité.

Aussi, quand elle tomba malade et demeura recluse dans sa chambre, il lui apporta tout les jours des biscuits qu'il posa devant sa porte et finalement, elle sortit. Tout heureux, il courut prévenir le Maître et celui-ci lui ordonna de se mettre au service exclusif de la jeune fille. Ainsi, l'incident de l'étang ne se reproduirait plus.

Chin était plus que ravi ! Il allait pouvoir servir exclusivement celle qui était devenue son ange en étant si gentille avec lui ! Aussi dénicha-t-il un joli morceau de tissus de la même couleur que celui de la jeune fille et s'attacha-t-il le bandeau sur le front pour montrer qu'il était à son service.

Il arriva à la Pagode, et, ne la trouvant pas dans sa chambre, il se mit à sa recherche. Il finit par la trouver dans une salle non amménagée de la séction des oiseaux.

Elle dansait et chantait, seule dans la semi-bscurité de la grande salle vide... Seule et si jolie... Il la regarda sans oser l'interrompre, ses yeux grands ouverts, admirant ce spectacle qu'il savait être le premier à avoir vu. Lorsqu'elle eut terminé, il entra en sautillant dans la pièce.

Mikomi-San ! Mikomi-San ! Le Maître a dis que j'étais à votre service ! Exéculif qu'il a dis...enfin je crois...

Parlant un ton plus bas, comme pour confier un secret, il poursuivit :

Il a parlé de vous confier l'organisation d'un grand banquet... Je l'ai entendu ! Si ! Si ! Je le promets sur les Kamis ! Et je suis à juste pour vous aider ! Je serai votre guide ! Et votre habilleur aussi, si vous arrivez pas à remettre vos robes...

En attendant le début de la fête, Mikomi vint s'exercer à la danse chaque jour dans la salle qu'elle avait découverte, faisant travailler son corps et sa voix. Les pas qu'elle esquissait n'avait certe pas la pureté de ceux que les geishas, mais la grâce féline des acrobates.

Et ses chants s'élevaient perpétuellement dans cette grande pièce toujours aussi vide, alors qu'elle inventait des chansons, et que Chin-chan, fidèle au post, prenait des notes sur son écritoire de ce qu'elle chantait, et qu'il glissait ensuite par morceau, entre les papiers du Maître, pour le distraire quelque peu et le détendre dans son travail.