[Terminé] L'inspiration d'un moment vaut l'expérience d'une vie.

[Oliver Wendell Holmes]


Hatchi était installée dans la salle des Oiseaux, le front barré d'une ride soucieuse tandis qu'elle se concentrait; les mots lui venaient tout naturellement, certes, mais il restait difficile de les mettre en place pour que les termes conservassent le rythme que l'art exigeait. C'est qu'elle en avait appris des choses, en écoutant, en lisant... Et elle s'essayait à l'art délicat du hokku. Cinq, sept, cinq... Elle se perdait presque dans ses calculs. Quoiqu'au final, ce n'était pas si dur...

La jeune femme appréciait tout particulièrement l'art de Basho, ainsi que d'autres grand poètes. Elle décida d'en afficher quelques uns, recopiés par ses soins à l'aide de son pinceau, à titre d'exemple :

Citation :

Cet automne-ci
Pourquoi donc dois-je vieillir ?
Oiseau dans les nuages

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu'elle est près de sa fin

Basho


Qui se soucie de regarder
La fleur de la carotte sauvage
Au temps des cerisiers?

Sodo


Tout a brûlé
Heureusement, les fleurs
Avaient achevé de fleurir.

Hokushi


Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!

Shoha

Satisfaite, Hatchi en retourna ensuite à sa propre composition. Elle avait veillé à ce que les strophes se suivissent, et restassent cohérentes :

Citation :

Sur les murs, gravés,
Les souvenir d’un passé ;
Le soleil d’été.

Une lumière sombre.
L’hirondelle, comme une ombre,
Vole et obombre.

Et demain, l’oiseau,
Qui rendait les jours plus beaux,
Rira à nouveau.

Mais en attendant
Le retour de ce printemps
…

La jeune femme resta perplexe, le pinceau en l'air, lèvres pincées. Elle affichait un air aussi contrarié que boudeur. Et voilà qu'il lui manquait cinq syllabes. Cinq fichues syllabes ! L'incident la contrariait plus qu'elle ne voulait l'avouer, et elle résolut de ne pas quitter la salle tant qu'elle ne les aurait pas trouvé, quitte à y passer la soirée entière. D'autant plus qu'elle avait choisi, allez comprendre, de faire rimer les mots, quand une telle chose n'était en générale pas conseillée dans la rédaction d'un hokku, voire proscrite. Sans doute aimait-elle transgresser les règles... Entêtée dans son obstination, et sans doute avec la crainte qu'on la jugeât incompétente, elle relisait en boucle, à voix haute, tout ce qu'elle avait déjà écrit...

La fin du monde, l'apocalypse, la colère des kamis, l'éradication totale, appelez ça comme vous voulez, ça revenait au même pour Hatchi. Elle en aurait hurlé de rage, si elle n'avait eu peur d'alerter tout le domaine. Elle sursauta ensuite, violemment, tandis qu'une voix intervenait dans son dos, et fit prestement volte-face, une main sur son cœur comme si ce simple geste pouvait en limiter les battements. A son grand soulagement, elle reconnut Onoho, et s'inclina de bonne grâce tout en récupérant sa respiration.

-H-Haï, Onoho-San ! Et Konnichi wa... Gomen, vous... Vous m'avez fait peur. Enfin, iie, c'est pas du tout ce que je veux dire, corrigea-t-elle en s'empourprant. Vous êtes radieuse, mais vous m'avez surprise. Euh, non pas que je fasse quoi que ce soit de mal ! Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait quelqu'un ici. Pause soulagée, avant de repartir de plus belle. Eeeeeh, mais vous avez parfaitement le droit d'être ici ! Je veux dire... Vous pouvez aller où vous voulez ! Et puis je suis très honorée de vous voir ici...

Elle soupira, rouge tomate, et inclina la tête en parvenant enfin à stopper le flot incontrôlable de parole qui jaillissait de ses lèvres. C'est qu'elle avait tellement peur d'offenser qui que ce soit ! D'autant qu'elle n'avait jamais vraiment eu l'occasion de discuter avec la Pivoine. Inspirant profondément pour récupérer son souffle, la jeune femme chercha alors à détourner la conversation. De quoi avait-elle parlé ? De vent ?

-"Que souffle le vent" ? Haï, ça pourrait coller..., fit-elle, réfléchissant à voix haute plus qu'autre chose, avant d'esquisser un sourire. Arigato, Onoho-San !

Mains jointes au niveau de la poitrine, elle sautillait presque sur place, ravie de ce poids qui s'envolait de ses épaules.

-Vous essayeriez-vous à la poésie ?, lança-t-elle, malicieuse.

Onoho en resta bouche bée. Cet jeune femme avait un tel débit de parole qu'elle s'en était retrouvée...sans voix. Le temps de bien comprendre tou ce que Hatchi avait dit.
Elle lui avait fait peur...mais elle était radieuse...elle l'avait juste surprise...elle ne faisait rien de mal...le droit d'être ici...où elle voulait...très honnorée...

J-jeee...Gomen ! Jenevoulaispasvousfairepeur !

Elle s'était escusé très rapidement, de peur d'être coupé par le joli moulin à paroles qui se tenait devant elle, une fois qu'il aurait reprit son souffle.

"Que souffle le vent" ? Haï, ça pourrait coller... Arigato, Onoho-San !

Elle lui sourit en inclinant la tête. Amusée, elle l'observa sautiller avant d'être surprise par une question.

La...poésie... Je n'ai encore jamais essayé de ma vie.
J'ai déjà lu quelques ouvrages en diagonale, c'est bien tout.
Je ne me souviens que d'un Hokku de Shoha, celui que vous avez affiché, Hatchi-san :

"Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum"

Je l'avais retenu, je trouvais qu'il me correspondait, en quelque sorte.
La peinture, les fleurs. Et puis j'ai toujours rêvé d'ajouter les parfums mes representations...et..heuuu...enfin...

La voilà qui parlait encore et encore. La poète commençait elle déjà à déteindre sur elle ? Bien qu'Onoho soi bavarde de nature, elle se forçait à ne point trop parler, de peur d'ennuyer.
Elle leva les yeux vers Hatchi, timidement et lui sourit

Hatchi, retrouvant peu à peu son calme, esquissa un sourire amusé en entendant Onoho récité les quelques lignes de Shoha.

-On dirait que peinture et poésie font bon ménage..., fit-elle observer en riant. Une manière de peindre les mots, et d'écrire les images... Je vous en parlerais, si je trouve d'autres hokku de peintres !

La jeune femme inclina la tête avec bonne humeur.

-Vous peignez beaucoup ? J'espère pouvoir le voir, un jour, Onoho-san...!

Onoho aquiesça.

Hai, n'hésitez pas à venir me les présenter !

Dès le printemps arrivé, je me remettrai à mes estampes. Vous verrez certainement cela bientôt.

Elle lui sourit

-Le printemps...

Un très net sourire vint étirer les lèvres d'Hatchi. C'est qu'elle l'attendait, celui-là ! Les fleurs lui manquaient, le soleil, les promenades dans les jardins...Et la douceur du climat d'une manière générale. Une idée frappa soudain l'esprit de la jeune femme.

-Vous devriez peut être dessiner quelque chose pour célébrer Hanami, Onoho-San ! La Pagode n'en serait que plus belle...

Elle sourit à nouveau, inclinant la tête sur le coté. La fête de la "Contemplation des Cerisiers" tombait début avril, en général -cela dépendait des arbres, surtout-, et était toujours prétexte à quelques soirées et autres promenades pour contempler les paysages rosés par les arbres en fleurs. Éternelle source d'inspiration, d'après Hatchi...

-Enfin. J'ai hâte de voir ça..., conclut-elle avec bonne humeur.

Entendre Onoho parler d'Hanami fut sans doute une sorte de...soulagement, pour la jeune femme. Enfin, de petite joie ! Elle sourit à nouveau, comme excitée d'avance pour cette fête à venir. Le compliment suivant, cependant, ramena un peu de couleurs à ses joues; elle baissa la tête, se grattant la nuque -tic récurrent, chez elle- avec un air embarrassé.

-Arigato gozaimasu, Onoho-San !, lança-t-elle en s'inclinant. J'ai hâte de voir s'il vous ressemble de même...

Elle sourit à nouveau, quelque peu impressionnée par la franchise de cette Pivoine qu'elle appréciait.

-Peut être... Pourrions-nous aller voir les cerisiers ensemble, lorsqu'ils seront en fleurs...!, proposa-t-elle, enjouée. Mon père disait que c'était une tradition vraiment très importante... Et j'ai l'impression que vous partagez cette avis !

Hai, ce sera avec gand plaisir !

Une grand sourire étira ses lèvres, et elle se redressa, s'étant acroupie pour discuter.

Gomen, je vais y aller Hatchi-san. Je vais vous laisser aller à votre inspiration.

Elle s'inclina puis s'en alla à petits pas, toute contente, toute souriante

Mata ne !